Notre critique du film Hiver à Sokcho, de Koya Kamura : pêche miraculeuse

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CRITIQUE – Pour son premier film, Koya Kamura adapte le roman d’Elisa Shua Dusapin et fait preuve d’une maturité impressionnante pour décrire le lien fragile entre deux êtres.

Limande-sole, seiche, poulpe ou fugu, mortel s’il n’est pas préparé dans les règles de l’art, le poisson est partout à Sokcho, ville côtière de l’extrême nord-est de la Corée du Sud, non loin de la frontière. Sur les étals du marché, où travaille la mère de Soo-ha. Dans les assiettes, préparées notamment dans les cuisines du modeste hôtel où Soo-ha est la seule employée (Bella Kim, une révélation). Dans la langue, métaphore servie à toutes les sauces : « Le temps est impitoyable, il file comme une loche entre les doigts », « avec sa tête ronde, on dirait un fugu ». Ou encore « les Français sont beaux. On les regarde les yeux grands ouverts, bouche bée, comme un poisson devant un bout de courgette », dit la mère. Autrefois, elle a aimé un Français, de passage à Sokcho. Il est le père de Soo-ha mais il ne l’a jamais su, rentré en France avant la grossesse. C’est du moins la version officielle.

Ce père inconnu, Soo-ha a cherché à s’en rapprocher en étudiant le français. Et l’arrivée d’un Français lui donne l’occasion de parler cette langue étrangère et familière à la fois. Un fantasme de Français, un père fantasmé. Yan Kerrand, dessinateur de bande dessinée, a les traits de Roschdy Zem. Belle gueule, barbe de six jours, voix chaude, haute silhouette. Il compte séjourner quelques jours ou quelques semaines. Elle lui donne une chambre minuscule, monacale, dans l’annexe de la pension. 

Un trou dans la cloison lui permet d’observer ce voyageur solitaire aux doigts tachés d’encre. Google lui apprend qu’il est un artiste réputé, un peu en crise d’inspiration. Soo-ha délaisse son petit ami, obsédé par l’idée de quitter la grisaille de Sokcho pour rejoindre Séoul et mener une carrière de mannequin. 

Échappées oniriques ou visions intérieures

Elle sert de guide à Kerrand dans la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, l’emmène dîner dans une gargote, lui montre comment tenir ses baguettes. Elle pourrait être sa fille. Ou sa petite amie. Kerrand, trop impoli, trop pressé, trop absorbé par son travail, se refuse à goûter les plats de Soo-ha. Même le bœuf bourguignon qu’elle lui mitonne refroidit sur son palier.

Pour son premier long-métrage, tiré du roman d’Elisa Shua Dusapin, Koya Kamura filme avec une maturité impressionnante le lien fragile entre ces deux êtres. Sans doute parce que la double culture n’est pas chez lui quelque chose de théorique — il est franco-japonais. Et devant sa caméra, Sokcho, cité balnéaire sous la neige, n’est pas qu’un paysage graphique. Soo-ha est un corps en hiver, engourdi, caché sous des vêtements informes. Les séquences animées d’Agnès Patron, échappées oniriques ou visions intérieures, représentent la plupart des femmes girondes, fesses charnues et seins opulents, sans qu’on sache si elles sont monstrueuses ou fantastiques. 

Il y a aussi cette cliente de la pension au visage couvert de bandages derrière ses lunettes noires. Elle ressemble à l’Homme invisible de H. G. Wells. On apprendra qu’elle a subi une opération de chirurgie esthétique. Un phénomène très répandu en Corée du Sud, où les femmes en particulier doivent lutter contre une terrible pression sur la beauté physique. Soo-ha résiste encore, telle une petite fille qui refuse de grandir, ou telle une femme qui choisit de vivre sa vie.

La note du Figaro : 3/4

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