Un site Internet, ouvert le 2 janvier aux Pays-Bas, divise le pays. Créée à l’initiative des archives nationales néerlandaises sur financement public de trois ministères, ceux de la Justice de l’Éducation nationale et de la Culture, cette plateforme Internet intitulée « Orlog voor de rechter » (ce que l’on pourrait traduire par « Juge de guerre ») rassemble près de 8 millions de documents concernant 425 000 personnes accusées de s’être mises au service de l’occupant nazi entre 1940 et 1945.
La mise en ligne, la semaine dernière, de cette vaste base de données n’a pas tardé à faire polémique dans le pays. Les descendants de ces suspects craignaient en effet de se voir reprocher les méfaits de leurs aïeux. Le site a été rapidement submergé par les demandes de consultations. Plus d’un million de personnes s’y sont connectées dès la première semaine pour vérifier si des noms de proches y figuraient.
À LIRE AUSSI La police de Vichy livre ses derniers secretsUn message d’erreur s’affiche aujourd’hui sur la plupart des notules individuelles numérisées provenant des archives centrales des tribunaux de juridiction spéciale (CABR), créées après la libération des Pays-Bas par les Alliés, pour juger les collaborateurs. « En raison de l’affluence, il n’est actuellement pas possible d’accéder aux documents demandés », y lit-on.
Les internautes sont invités à se connecter un peu plus tard. Cet engouement en dit long sur le rapport qu’entretiennent les Hollandais avec l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Longtemps inaccessible, ce fonds d’archives n’était jusque-là consultable que par les chercheurs et les personnes impliquées (descendants directs de suspects ou de victimes de la déportation).102 000 juifs hollandais tués dans les camps sur 140 000
Cette base de données contient des documents susceptibles de faire la lumière sur l’implication de la population civile dans la Shoah. Aux Pays-Bas, plus de 102 000 hommes, femmes et enfants juifs, soit 75 % de la communauté israélite de ce pays qui s’élevait à 140 000 personnes avant-guerre, ont été tués dans les camps.
À LIRE AUSSI Policiers et gendarmes sous l’Occupation : collabos ou résistants ? Les historiens qui œuvrent au sein de l’institut Huygens à l’origine de cette initiative se réjouissent que l’ensemble de la population puisse désormais consulter ces archives. « Elles sont le symbole de la répression et de la mémoire de la collaboration aux Pays-Bas », indique ainsi au Monde Johannes Houwink ten Cate, ancien professeur à l’université d’Amsterdam.
Certains s’alarment cependant que des éléments mis en ligne puissent nuire à la mémoire de personnes disparues. Hans Renders, professeur d’histoire à l’université de Groningen, note ainsi que 120 000 des accusés ont vu leur dossier classé sans suite. « Le simple fait de voir son nom figurer dans cette liste ne fait pas de vous un criminel de guerre », a-t-il ainsi déclaré à la BBC. À LIRE AUSSI Etty Hillesum, Anne Frank méconnue et complexe
Parce que les informations qui allaient être publiées n’étaient pas assez précises (il n’était pas toujours indiqué la nature des faits reprochés, ni la décision d’appel ayant éventuellement innocenté les accusés), l’autorité néerlandaise de protection des données personnelles a finalement demandé aux archives nationales de surseoir à la mise en ligne de l’intégralité des documents numérisés. Seul un quart du fonds est actuellement disponible en ligne.
Il faut aujourd’hui se rendre physiquement au siège des archives pour pouvoir consulter les dossiers judiciaires individuels. Tout comme la liste des 10 000 Néerlandais qui se sont engagés au sein de la Waffen-SS, des 20 000 qui se sont enrôlés dans l’armée allemande ou des 100 000 adhérents du mouvement national-socialiste néerlandais (Nationaal-Socialistische Beweging in Nederland ou NSB), fondé en 1931 sur le modèle du parti nazi allemand.
Ouverture tardive
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Cette ouverture du fonds judiciaire néerlandais est tardive notent les spécialistes du sujet. En Allemagne, en Italie comme en France, les dossiers judiciaires concernant l’épuration sont accessibles depuis plusieurs années. L’initiative des archives hollandaises suffira-t-elle à permettre une meilleure information de la population sur la réalité des persécutions antijuives aux Pays-Bas ?
Une étude réalisée dans le pays, en janvier 2023, par Claims Conference, une organisation internationale qui œuvre à la défense de la mémoire des déportés, relevait que plus de la moitié des Hollandais ne savent pas que six millions de juifs ont été exterminés en Europe pendant la guerre. « Et 23 % des jeunes de 25 à 35 ans pensent que la Shoah est un mythe ou a été exagérée », indiquait Eddo Verdoner, coordinateur de la lutte contre l’antisémitisme aux Pays-Bas.